François BOUËT
La Faune des routes / OCTAVE MIRBEAU
Editions Luis Casinada, Montpellier, 2013
Cette fois-ci, nous avons l'occasion de travailler avec un artiste qui a consacré une bonne partie de son activité à l'illustration de livres.
Si vous consultez son site vous lirez des choses comme ça
:
«François Bouët, peintre, illustrateur, graphiste est un raconteur d’images.
Tout est sujet d’attention pour lui. De la mobylette à l’arbre d’un parc, la campagne n’est jamais loin. Il traverse le bazar de la vie, un carnet en poche, libre de se promener dans l’espace
de sa pensée, de sa peinture avec la légèreté du clairvoyant. Ses images sont des instantanés de son décor familier, des détails secondaires du paysage, des arrières-plans négligés, un peu comme
des clichés maladroitement cadrés qui se révéleraient plus tard contenir l’essentiel d’une vie qui s’est déroulé hors-cadre. Elles sont les points de départ d’histoires réelles ou à inventer, au
choix. Il éclaire la face oubliée, révèle une osmose animiste avec les choses, leur présence inaperçue, une intimité, comme un signe amical de reconnaissance. Ses images, au contour net, telle
une écriture ronde qui rassure, causent de toujours et de l’instant.» Marie-Odile Steck, mai 2009.
François Bouët travaille à Montpellier et a réalisé des couvertures de livres, des affiches, des illustrations pour la presse et l’édition ainsi que des albums-jeunesse.
Et pour le contacter, vous pourriez faire : bouetbouet@free.fr
Vous apprendriez même à mettre un tréma sur le E de son nom.
Vous comprenez bien qu'un livre de François Bouët était indispensable dns la collection Parce que ! de Luis Casinada. On ne s'est pas privé d'aller le tarabusquer.
J'ai, à Avèze (tout le monde sait où est Avèze) une gravure de François Bouët : La Pêche. Alors, en avant ! Gros hameçon, gros appât, le genre de proposition qu'il ne pourra pas refuser : un texte superbe et déjanté (pneumatiques en goguette) d'Octave MIRBEAU. C'est un chapitre d'un livre fou au titre fou : "LA 628-E8". 628-E8, c'est le numéro d'immatriculation de la voiture. De 1907. Mirbeau aura même une contravention lorsque sa plaque minéralogique sera tâchée de boue. Or, de la boue, il y en a partout sur ces routes sans bitume. Avec ça, Mirbeau et son chauffeur filent comme le vent vers la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne. Un livre de voyage.
Au bord des routes, et parfois au milieu, la faune des obstacles : chevaux, vaches, chèvres, chats, cochons (et cyclistes). C'est La faune des routes.
Il n'y a pas que ça, bien sûr dans les 416 pages du livre. LISEZ MIRBEAU !
Mais nous, nous avons choisi de zoomer sur les bestioles.
Pour François Bouët, tout est paysage. Du moins, tout fait paysage. Le paysage, c'est ce mélange du naturel et du technologique, du biologique et de l'artefact.
Alors, il s'en est donné à coeur joie à mélanger bielles et foies, cardans et rotules, intestins et durites, vessies et lanternes.
Voyez la fameuse 628-E8 : elle a de la tripe, de l'estomac ! Son moteur 6 coeurs culbutés fait des ravages chez les chauffeurs sentimentaux.
La bête noire de Mirbeau, c'est le cheval. Vous allez voir comme il en parle et comme il l'aime pas !
Cette bestiole qui roule des mécaniques et n'a pas d'âme irrite Octave au plus haut point. François BOUËT lui concède toute la mécanique, mais pas trace d'âme. C'est l'Animal-Machine de La
Mettrie mis à la portée de tous par la Manufacture des Armes et Cycles de Saint-Etienne (Manufrance).
Le cheval a peur de l'odeur, peur de la couleur, de la lumière, de l'ombre, de son ombre, de l'ombre de celui qui le mène; il a peur d'un bout de papier, d'un sac d'avoine tombé, d'un morceau de verre qui brille, d'une lueur de lune dans une flaque d'eau, d'un reflet de feuille qui bouge, ou de nuage qui chemine sur la route. Le cheval a toutes les phobies. Il a même toutes les autophobies, et à un degré de morbidité que n'a peut-être pas atteint M. Emile Loubet, lequel, avec un si bel à-propos et autant de fureur prophétique, fulminait, contre les automobiles, les mêmes fâcheuses malédictions que fulmina M. Thiers contre les chemins de fer… Ah! Ces grands hommes!
Ce n'est que quand la machine, qu'il n'a ni devinée ni prévue, - je parle du cheval -, le frôle, qu'il fait un écart, se cabre, rompt son attelage, et renverse choses, gens, voiture et
lui-même, dans le fossé. Ainsi que le lièvre, qui n'est dangereux qu'à soi-même, mais qui ne hante pas les routes, le cheval a cette infériorité physiologique de ne rien voir devant soi. Il ne
voit que ce qui est à droite, ou à gauche, comme un politicien de la Chambre. Pour qu'il marche sans accroc et sans dommages, il faut qu'il ne voie pas du tout… Bandez-lui complètement les yeux
et, d'un pas égal, d'une allure somnolente, cet Amour à quatre pattes ira toujours, et il tournera, par exemple, des heures, des heures et des heures la roue d'un manège sans s'arrêter jamais,
sans jamais se révolter.
On ne rencontre pas, en conduisant (chauffant), d'animal - l'homme et même le cycliste compris - qui soit plus dangereux et dont il faille se méfier davantage. Chaque fois que j'aperçois, sur
la route, ce périlleux imbécile, je ralentis toujours, et souvent je m'arrête, car on ne sait quelles frasques, quelles extravagances meurtrières peuvent bien lui passer par la tête. Sa stupidité
fait penser à celle d'une caste, naguère omnipotente, à qui, dans sa déchéance actuelle, il ne reste plus, pour se donner encore l'illusion de la puissance et de la vie, que la faculté de
caracoler. On s'applaudit de voir qu'elle sera bientôt dépossédée.
La vache, elle, s'attire toute la sympathie de Mirbeau, et avec elle sa famille, boeuf et veaux.
Une vache ou deux, surprises, une bande de bœufs qui vont à l'herbage ou à l'abattoir, auront l'air gauche et comique à détaler pesamment, et leur gros derrière à se lever, se trémousser, et
leur queue ridicule, à battre l'air, devant le moteur qui les pousse. Ils vous mèneront peut-être loin ainsi. Mais même une troupe de veaux, très longtemps poursuivis, tourneront toujours dans un
chemin, dans une brèche de la haie, dans un champ, où ils se remettront bien vite de leur émoi, et vous regarderont passer avec une curiosité un peu tremblante, une gentillesse étonnée… J'ai
remarqué que les vaches ont, en général, une certaine sagesse. Elles ne perdent complètement la tête que si, parmi elles, un cheval vient leur communiquer sa peur stupide.
On peut avoir de la sympathie pour la vache. Son coup de langue nettoie aussi bien que la pâte Arma et polit comme la meilleure meule à polir. C'est utile et serein.
Mais la vraie tendresse, c'est au cochon qu'on la doit. Tout en lui, est utile. Il range ses abattis comme un bel atelier : on ne jette rien, on farcit les tiroirs et les étagères, on écrit sur
les poutres de l'établi, comme Montaigne, la phrase sacrée : ÇA POURRA SERVIR UN JOUR.
Les jeunes cochons, si roses, si gais, si jolis, accompagnent l'auto, en galopant joyeusement sur les berges. Ils ne traversent jamais… C'est une joie de la route que de voir ces petits êtres
charmants se suivre et nous suivre, - frise délicieusement enfantine - , le groin en avant, les oreilles battantes, la queue qui frétille… Aussi gras, joufflus, et plus roses que ces Amours qui,
sur les plafonds, les tapisseries, les boîtes de chocolat, sortent du déroulement des banderoles, des conques fleuries, des corbeilles enrubannées. Ah! Petits cochons… petits cochons!... C'est
aussi une tristesse de se dire que toute cette jeunesse, toute cette joliesse, toute cette gaieté sautillante, finiront, bientôt, en eau de boudin…
En parlant de boudin... voici le point final :
DISPONIBILITE :
En stock (4 exemplaires)
PRIX :
100€